Tant dans la forme que dans les couleurs et les matières, l’artiste-peintre marocaine Laila Salmi prolonge ses dons de plasticienne authentique pour réinterpréter de manière totalement inédite ses sujets. Native de Rabat, cette artiste, qui vit et travaille à Casablanca, marie bien poésie, narration et peinture dans un procédé toujours à réinventer: le monde des abeilles.
Point n’est besoin de l’infini des mots pour entrer en poésie, le pinceau vaut plume raffinée et grandiose, abordant un monde qui nous subjuguera. C’est ce que l’on retient aussi de l’œuvre de Laila Salmi qui manie à la perfection les couleurs et la lumière et investit avec dextérité des espaces abstraits, figuratifs pu calligraphiques. Et si toute son expression picturale s’oriente vers une exploration dans les genres de peinture, des pulsions créatrices, des défis esthétiques différents, elle garde intact son don du pouvoir suggestif. C’est tout simplement parce que l’expression graphique est l’aboutissement logique de tout artiste qui se veut en total accord avec sa culture et ses facultés artistiques innées. C’est aussi le cas de l’œuvre de notre artiste, souvent traitée d’instinct, en touches disciplinées et taches organisées qui s’assemblent avec talent et se révèlent subtils en tonalités optimisées. Sur toile, bois, cuir ou métal, la légèreté de la matière et les ondes délicates s’opèrent dans un agencement qui exprime une évolution constante et une assurance qui gagnent en sobriété, en symbiose avec la sensibilité de Laila. Cet art qu’elle nous propose se veut un aux tons acidulés, formes aiguës et grands aplats de couleurs sur des formats très larges.
Avec cette technique intuitive de la peinture qui allie spontanéité, explosivité et relief en même temps, la répétition de motifs laisse une trace modelée sur le support et offre un résultat tout simplement déroutant où, couleur et forme sont en parfaite harmonie, et du mouvement de cette succession de motifs naît une émotion. Elle ouvre ainsi un champ de découverte infini, une quête de soi et un voyage décoiffant dans son univers poétique. Ici, chaque tableau est une découverte, mais aussi une nouvelle expérience picturale autant pour son créateur que pour le passionné d’art. Ses tableaux intellectuellement très riches prouvent que Laila est surtout une artiste-peintre dont l’œuvre regorge de références historiques avec un clin d’œil à sa propre expérience de la vie. Solidarité, fraternité, amour et paix intérieure constituent la pierre fondatrice de son champ sémantique riche en thèmes. L’ensemble de cet univers est inspiré essentiellement du monde des abeilles qui symbolise l’abnégation, la vision naturelle de la solidarité et du travail d’équipe. Elle invite ainsi les férus d’art de faire un «voyage intérieur» et les incitent à «apprivoiser l’invisible». On sait d’ores et déjà que la plasticienne a utilisé la couleur d’une façon subtile et a assemblé des formes distinctes d’une façon particulière afin que les visiteurs partent à la recherche de cet invisible…Ses tableaux vont dialoguer, faire suite et se nourrir mutuellement. Et nos cœurs, nos yeux, nos émotions avec.
Dans ce sens, l’œuvre de Laila a pour objet de permettre de saisir quelque chose d’au-delà de la vie et nous le faire sentir l’espace d’une seconde. Il faut dire que ses travaux attestent qu’elle est une artiste réaliste, une réaliste totale, presque scientifique avec une technique contre nature. On peut même avancer qu’elle est effectivement dévorée par les modèles qu’elle a fait surgir des profondeurs puisque peint d’après nature. Ces tableaux ont pour but d’effacer la distinction entre la réalité et sa représentation, de faire prendre en fait la représentation pour une vision, une porte ouverte sur l’indicible et qui ainsi nous fait ressentir cette proximité du réel et c’est peut-être le même aspect saisi par d’autres voies. En revanche, les signes de ses multiples infamies apparaissent dans ses tableaux, qui deviennent le miroir de sa conscience et retrouvent alors leur beauté initiale. Ombre et lumière se répartissent les saillis et le creux les incitions rayonnantes, les incidences curvilignes et même complètement circulaires. Néanmoins, souvent polychrome, cette taille porte le sceau de notre artiste-peintre. La texture lisse, consistance, mate ou brillante convienne autant à la forme qu’au volume, le rendant plus somptueux et sensuel.
Aucun détail superflu. Laila va à l’essentiel. Cette méditation que rien ne semble pouvoir déranger, le spectateur l’éprouve à son tour. Ses tableaux troublent par leur simplicité totale. Car la plasticienne, apparemment impassible, traite ses splendides natures mortes avec le même souci de réalité plus que de réalisme. Elle offre ainsi beaucoup d’émotion mais aussi l’occasion de comprendre la réalité du travail d’une artiste peintre exigeante qui se fie à son inspiration. Elle partage cette affinité avec le spectateur comme un langage pour traiter avec l’esprit. Bref, cette grammaire se veut une locution susceptible de s’appliquer au langage graphique de Laila Salmi, en sa rigueur, sa diversification, sa fluidité. Elle croit et fait croire en cette puissance et cette richesse infinies avec une main de virtuose, comme un premier jet de la création. Il s’agit dans l’univers pictural de cette plasticienne d’une forme de communication autonome, complète, capable de tous les effets et de toutes les expressions.
Ayoub Akil