Dans l’univers pictural de l’artiste-peintre marocaine Laila Benchekroun, les couleurs s’expriment pleinement dans toutes leurs nuances voisines avec l’ardeur ensoleillée des paysages et les splendeurs de la culture et du patrimoine marocains. Comme les Nymphéas de Monet, la peinture de cette ex-professeure de sciences naturelles nécessite de prendre du recul: près du tableau, les jeux de matières, les larges aplats parsemés de touches et de points, à la limite de la projection. Les œuvres de cette plasticienne, originaire de Fès et qui vit et travaille à Casablanca, déroutent, interrogent, dégagent de la poésie et de la spiritualité.
L’univers de l’artiste-peintre Laila Benchekroun, on le pressent, s’éloigne du réel angoissant, fait d’insécurité, de violence, de fanatismes, pour proposer une approche vivifiante et pacifiée. Une invitation baudelairienne au voyage atemporel : le patrimoine immatériel du Maroc. Face au monde tel qu’il se présente, cette démarche se révèle donc d’autant plus sincère qu’elle tend vers l’apaisement, la rêverie, la culture, notions qui échappent aux sociétés précipitées au bord du gouffre par des conflits qui les dépassent. Ici, il s’agit avant tout de ce souci majeur de sauvegarder le patrimoine immatériel du Royaume.
Compte tenu de l’importance qu’il revêt dans le paysage identitaire et culturel du Maroc, souvent confronté à l’usure du temps, Laila Benchekroun se voit plus que jamais appelée à assumer une responsabilité qui dépasse largement le cadre de l’art : l’image de l’identité nationale. Il est question, pour elle, donc de participer activement à la fois à la cohésion sociale et à la dynamique culturelle du pays à travers l’art. Cela se traduit par la philosophie de cette culture et sa pluralité, mais aussi par les valeurs de respect, de modernité et d’art du partage que ses tableaux véhiculent. C’est aussi pour cela que ses œuvres célèbrent les objets artisanaux traditionnels propres à la culture marocaine : épées, minarets, fontaines… mais aussi à l’architecture zellige, remparts, medinas notamment de Fès… Elle excelle aussi dans les scènes de famille, les portraits, les paysages entre autres natures mortes.
Quant à ses choix, ils se se font par impulsions : dès lors qu’une représentation lui plait assez pour l’inspirer, elle reste au plus près de ses formes, qu’elle veut souples, variées et irrégulières. Mais quand viennent les couleurs, sa liberté se débride. Ici, aucune règle et surtout pas de fonction descriptive ou narrative. Le chromatisme vif et contrasté de ses peintures ne dépend que des rapports des tons entre eux, selon les surfaces qu’ils animent, de manière totalement subjective. Sa sensibilité aiguë à l’atmosphère, la sûreté de la composition, le contrôle exceptionnel de la palette caractérisée par une tonalité sourde, contrebalancée par les couleurs, est tout simplement magnifique. Son travail présente une hyper sensibilité à la couleur, à la texture, à la lumière, à la forme, à la densité et même aux vibrations spirituelles du sujet choisi comme en attestent les coulures de la matière et les changements de rythme dans la gestualité: tantôt pondérée et sobre, tantôt lyrique et déchaînée. Elle élabore à la manière d’une musicienne des variations sur un thème. L’élément musical ici, repris sous différents aspects, c’est le patrimoine marocain, mais il est toujours reconnaissable en dépit de ses multiples variations.
Ainsi dans ses œuvres, on retrouve une palette éclatante où les rouges, les jaunes, les verts et les bleus semblent sortir de l’espace circonscrit des toiles pour entraîner le spectateur dans un tourbillon chromatique. On se sent frappé par ses tableaux qui font alors appel à des couleurs assez chaudes, traduisant une atmosphère pesante. Or, il y a une rupture temporaire qui s’estompe aujourd’hui avec une série de travaux récents qui placent l’abstraction au centre de la création et célèbrent la nature humaine dans ce qu’elle peut offrir de plus flamboyant, mais aussi – et ce n’est pas le moindre des paradoxes – de plus doux.
Toutefois, son génie est de toujours réussir à rester dans le vrai et la justesse des émotions, tels qu’on les ressent, lorsqu’on se laisse envahir par son univers plastique fourvoyant à plus d’un titre. Ses œuvres résolument contemporaines sont l’aboutissement de ses recherches, études de styles visant la définition, la jonction entre le paysage quasi-réaliste et la poéticité du monde.
Et Si la diversité est le propre de la nature humaine, Laila, elle, jongle avec les différentes techniques mises à sa disposition : acrylique sur toile, collages, pâte, même ciment et sable… La réflexion technique de notre plasticienne chevronnée se métamorphose ainsi en méditation quasi-spirituelle. Qu’on le veuille ou non, bien qu’elle soit toujours dans la recherche et l’expérimentation, Laila reste fidèle à son vocabulaire formel et chromatique. Les couleurs dominantes se marient aux multiples nuances des autres couleurs et créent des compositions aux multiples surfaces contrastées, avec une mise en lumière parfaite et maîtrisée.
Enfin, l’empathie, l’imagination, le cœur et les yeux grands ouverts sont indispensables pour transmettre sur la toile les émotions nécessaires au dialogue avec le récepteur du tableau. Elle a su progressivement se libérer du poids des choses, dépasser le jeu des formes, des apparences, pour recueillir ce qui est au cœur des choses, choisir l’esprit du concret. C’est même l’origine et la raison d’être de son travail pictural dénonçant implicitement le matérialisme de notre ère provoquant la perte de notre âme et même de notre patrimoine.
Ayoub Akil