Décidément, l’univers pictural de l’artiste-peintre marocaine Siham Sadeq est une promenade dans l’infiniment petit. C’est la proposition d’un voyage à pied dans des endroits qui nous sont familiers et que l’on prend le temps de regarder plus en profondeur. La jeune plasticienne, native de Sidi Ifni, où elle vit et travaille actuellement, s’inspire de sujets oniriques ou fantasmagoriques mais ses œuvres restent cependant fidèles à la réalité de formes. Elles déroutent, interrogent, dégagent de la poésie.
C’est à pied que l’on comprend le mieux le paysage. C’est dans le rythme de la marche qu’il se dévoile en mouvement. Le paysage n’est jamais fixe, c’est une danse qui se produit devant nos yeux à chaque fois que l’on bouge. Idem pour les natures mortes, les portraits. Dans l’univers plastique de Siham, tout est aérien, fin et léger. C’est aussi un mélange entre le dessin et l’écriture.
Cette artiste peintre talentueuse semble avoir inscrit ses travaux dans la lignée des Peintres de la Réalité Poétique, dont Maurice Brianchon fut le chef de file. Dans une période attachée à l’ordre, cette conception privilégie le retour au réel et à la figuration, mais un réel transfiguré par la poésie. Les sujets de prédilection de Siham sont alors des scènes d’extérieur mais elle excelle aussi dans les scènes d’intérieur et les natures mortes notamment les portraits et les paysages. Elle y fait preuve d’une solide construction et d’un harmonieux équilibre des couleurs.
Comme les Nymphéas de Monet, sa peinture nécessite de prendre du recul: près du tableau, les jeux de matières, les larges aplats parsemés de touches et de points, à la limite de la projection. Mais quand viennent les couleurs, sa liberté se débride. Ici, aucune règle et surtout pas de fonction descriptive ou narrative. Le chromatisme vif et contrasté de ses peintures ne dépend que des rapports des tons entre eux, selon les surfaces qu’ils animent, de manière totalement subjective.
Dans ses travaux, les couleurs dominantes se marient aux multiples nuances des autres couleurs, créent des compositions aux multiples surfaces contrastées, avec une mise en lumière parfaite et maîtrisée. Le principal changement de rythme est dans la structuration même de l’espace : les grandes figures humaines : portraits de femmes, et animalières notamment les chevaux, occupent désormais la place centrale de l’espace pictural. La réflexion technique de Siham Sadeq se métamorphose ainsi en méditation quasi-spirituelle. Elle nous rappelle les pratiques des miniaturistes et le sillonnement des jardins zen, lieux de méditation par excellence.
Telle une magicienne, Siham crée des compositions souvent étonnantes pleines de poésie, mais toujours envoûtantes. Elle est d’abord une artiste qui prend du plaisir à peindre comme en attestent les coulures de la matière et les changements de rythme dans la gestualité: tantôt pondérée et sobre, tantôt lyrique et déchaînée. Elle élabore à la manière d’un musicien des variations sur un thème. L’élément musical, repris sous différents aspects, est le patrimoine marocain, mais il est toujours reconnaissable en dépit de ses multiples variations. Il s’agit de mettre en lumière le patrimoine immatériel marocain dans toutes ses splendeurs et de protéger la culture marocaine, dans son acception la plus large, du spectre de la perte et de l’oubli.
Ainsi dans ses œuvres, on retrouve une palette éclatante où les rouges, les jaunes, les verts et les bleus semblent sortir de l’espace circonscrit des toiles pour entraîner le spectateur dans un tourbillon chromatique. On se sent frappé par ses tableaux qui font alors appel à des couleurs assez sombres, traduisant une atmosphère pesante. Cet univers, on le pressent, s’éloigne du réel angoissant, fait d’insécurité, de violence, de fanatismes, pour proposer une approche vivifiante et pacifiée, une invitation baudelairienne au voyage. Là où tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté.
Face au monde tel qu’il se présente, la démarche de Siham Sadeq se révèle donc d’autant plus subversive qu’elle tend vers l’apaisement, la rêverie, la culture, notions qui échappent aux sociétés précipitées au bord du gouffre par des conflits qui les dépassent. C’est dire qu’admirer les œuvres de cette jeune artiste-peintre, c’est aussi rencontrer la sincérité et une certaine conviction qui ne nous laissent pas insensibles.
Ayoub Akil