Incisions, signes, pictogrammes, symboles, les œuvres de l’artiste-peintre française Johanna Lahcen Mahmoudi sont l’aboutissement de ses recherches, études de styles visant la définition, la jonction entre le paysage quasi-réaliste et la poéticité du monde. Cette plasticienne chevronnée qui vit et travaille au village Al Khamlia dans la Province d’Errachida se base sur ces éléments du vocabulaire formel de son œuvre graphique pour nous révéler les richesses du patrimoine marocain notamment amazigh dans ses splendeurs.
Des femmes amazighes, l’architecture de la ville, l’urbanisme de la région, les parures et les aspects vestimentaires de la même contrée…les trajets sensoriels et émotionnels d’une figure à l’autre sont concrétisés par l’enchevêtrement ornemental des empreintes et des diagrammes, des lignes et des couleurs, le surgissement dynamique de la profondeur vers la surface. Ces éléments sont aussi caractérisés par le passage de la bi-dimensionnalité à la tridimensionnalité, le legs du patrimoine culturel de la région comme mémoire libre persistante et expansion perpétuelle, s’unissent au bénéfice d’une nouvelle expressivité du présent.
Techniquement aussi, la plasticienne française jongle avec les différentes techniques mises à sa disposition … Son œuvre révèle ainsi une audace picturale et une base structurelle parfaitement ordonnancées et qui détiennent une intensité stylistique originale. Qu’on le veuille ou non, bien qu’elle soit toujours dans la recherche et l’expérimentation, elle reste fidèle à son vocabulaire formel et chromatique. Les couleurs dominantes se marient aux multiples nuances des autres couleurs, créent des compositions aux multiples surfaces contrastées, avec une mise en lumière parfaite et maîtrisée. Le principal changement de rythme est dans la structuration même de l’espace.
Dans ses travaux, elle s’éloigne de la représentation du monde pour mieux être à son unisson et mieux exprimer, avec les seules ressources du vocabulaire plastique (lignes, formes, couleurs) ses états d’âme et l’étendue des sensations et des émotions qu’elle éprouve à son contact. Ce traitement de la matière picturale, tout en vibrations, contribue tout entier à l’élaboration de la forme. Son œuvre prend alors un caractère contemplatif tout à fait prémonitoire. Son pouvoir créateur prend alors sa source dans la méditation.
Face au monde tel qu’il se présente, sa démarche se révèle donc d’autant plus sincère qu’elle tend vers l’apaisement, la rêverie, la culture, notions qui échappent aux sociétés précipitées au bord du gouffre par des conflits qui les dépassent. Ici, il s’agit avant tout de ce souci majeur de sauvegarder le patrimoine immatériel de son deuxième pays : Le Maroc.
Compte tenu de l’importance qu’il revêt dans le paysage identitaire et culturel du Maroc, souvent confronté à l’usure du temps, Johanna se voit plus que jamais appelée à assumer une responsabilité qui dépasse largement le cadre de l’art : l’image de l’identité nationale. Cela se traduit par la philosophie de cette culture et sa pluralité, mais aussi par les valeurs de respect, de modernité et d’art du partage que ses tableaux véhiculent.
Il faut dire aussi que pour Johanna, l’art n’est pas une reproduction objective du réel, il en est l’interprétation à travers la profondeur et la force du style de la vision de l’artiste. En même temps, le propre de l’univers de cette artiste est d’être communicable et le monde nous apparaît dans son œuvre comme une « totalité détotalisée», selon l’expression de Sartre. Or, pour elle, l’art instaure une communication et donne un sens au monde, mais ce sens reste prisonnier du concret. La rupture avec la société ancienne ne peut être une discontinuité absolue : un mouvement s’accomplit à travers elle.
Il faut dire que sa peinture n’est pas de l’art brut, mais une peinture ressaisie par le savoir de ses éléments les plus fondamentaux. Elle nous fait alors voyager à travers ses œuvres presque sans mot dire, pour nous faire découvrir le monde tel qu’elle le ressent, goutte, pense, voit et perçoit. C’est un art qui vise à produire un agrément instantané chez son récepteur, dans ce cas, à travers des langages picturaux immédiats, récréatifs, mais en même temps il s’agit d’un art qui dépasse cette même définition de kitsch. Une esthétique qui est tout à fait subordonnée aux diktats du marché.
Loin de là, Johanna, elle, en brèche le monde des apparences pour nous faire découvrir les sphères intérieures de l’être où l’essence des formes se laisse envoûter par son œuvre on ne peut plus riche, complexe, à la sémiologie secrète et visionnaire.
Ayoub Akil