Avec beaucoup de rhétorique et de métonymie, l’artiste-peintre Hanane Belhaiba donne libre cours à son imagination débridée, pour construire ses pages en couleurs. Cette frénésie se manifeste de façon palpable dans l’ensemble de ses travaux qui sont aussi et surtout le fruit de plusieurs décennies de recherches picturales focalisées notamment sur la lumière, les formes, les couleurs et le trait. Son univers, on le pressent, s’éloigne du réel angoissant, fait d’insécurité, de violence, de fanatismes, pour proposer une approche vivifiante et pacifiée, une invitation baudelairienne au voyage.
Dans l’univers pictural de l’artiste-peintre Hanane Belhaiba, native de Casablanca où elle vit et travaille, cette approche esthétique devient un rituel et un acte de représentation. C’est une approche critique de l’art contemporain, inséparable de la réalité et de son humanisme. De plus, la plasticienne les a transformées en sujets sur la toile, en réappropriant la surface de l’image. Dans ses travaux, elle s’éloigne de la représentation du monde pour mieux être à son unisson et mieux exprimer, avec les seules ressources du vocabulaire plastique (lignes, formes, couleurs) ses états d’âme et l’étendue des sensations et des émotions qu’elle éprouve à son contact. Ce traitement de la matière picturale, tout en vibrations, contribue tout entier à l’élaboration de la forme. Son œuvre prend alors un caractère contemplatif tout à fait prémonitoire. Son pouvoir créateur prend alors sa source dans la méditation.
Ces compositions sont devenues des lieux de mémoire ou lieux mythiques où se trouve inscrite son identité culturelle, témoignage des premiers pas qu’elle accomplit sur la voie de la sagesse. Ils sont de nature symbolique. Face au monde tel qu’il se présente, sa démarche se révèle donc d’autant plus sincère qu’elle tend vers l’apaisement, la rêverie, la culture, notions qui échappent aux sociétés précipitées au bord du gouffre par des conflits qui les dépassent. Ici, il s’agit avant tout de ce souci majeur de sauvegarder le patrimoine immatériel de son pays.
Compte tenu de l’importance qu’il revêt dans le paysage identitaire et culturel du Maroc, souvent confronté à l’usure du temps, Hanane Belhaiba se voit plus que jamais appelée à assumer une responsabilité qui dépasse largement le cadre de l’art : l’image de l’identité nationale. Cela se traduit par la philosophie de cette culture et sa pluralité, mais aussi par les valeurs de respect, de modernité et d’art du partage que ses tableaux véhiculent.
Dans une période attachée à l’ordre, cette conception privilégie le retour au réel et à la figuration, mais un réel transfiguré par la poésie. Les sujets de prédilection de Hanane sont alors des scènes d’extérieur (Les marchés animés, les villages aux murs blanchis couronnés de terrasses, scènes de famille…), mais elle excelle aussi dans les scènes d’intérieur et les natures mortes notamment les portraits et les paysages. Elle y fait preuve d’une solide construction et d’un harmonieux équilibre des couleurs.
La réflexion technique de Hanane se métamorphose ainsi en méditation quasi-spirituelle. Qu’on le veuille ou non, bien qu’elle soit toujours dans la recherche et l’expérimentation, elle reste fidèle à son vocabulaire formel et chromatique, en dépit et au-delà de la finalité qu’elle lui assigne. Les couleurs dominantes se marient aux multiples nuances des autres couleurs, créent des compositions aux multiples surfaces contrastées, avec une mise en lumière parfaite et maîtrisée. Le principal changement de rythme est dans la structuration même de l’espace.
Comme le poète n’habite pas une terre mais une langue, l’artiste-peintre, elle, n’habite pas le monde mais la peinture. C’est la seule mère-patrie dont personne ne peut l’expulser. La peinture est sa terre inaliénable, son paradis retrouvé. Elle s’appuie sur son propre terrain fertile en thèmes et en sujets et fait appel à l’imagination, son précieux outil, lui accordant le premier rôle et l’autorisant à s’ébattre en toute liberté et fantaisie. Elle fait confiance également à ce riche substrat de matières variées qui couvent en elle dans les tréfonds de sa psyché et qui est fait de souvenirs, d’expériences marquantes, de rêves, d’idéaux, de toute une symbolique personnelle. Tout cela se bouscule sur la toile en voisinages inattendus, suscitant chez le spectateur la surprise et le questionnement.
Loin des diktats du marché, Hanane Belhaiba, elle, cherche à célébrer l’unité de la matière et de l’esprit, mais l’esprit est bien ce qu’elle aspire à garder intacte en elle. Certes, cette plasticienne chevronnée ne s’est pas interdite de traduire dans son œuvre d’autres états d’âme, d’avoir d’autres sujets d’inspiration et d’avoir recours à autant de vocabulaires plastiques, de choix de formes, de couleurs et de matières que son goût de la recherche et le plaisir de peindre lui ont suggérés. Mais son projet pictural se confond bien, pour l’essentiel, avec sa démarche spirituelle.
Ayoub Akil